DPJ, le ministre chez l'optométriste

22 février 2024

David Bournival

L’auteur est intervenant en protection de la jeunesse.

 

22 février 2024

 

Monsieur le Ministre Carmant, vous avez besoin d’un rendez-vous chez votre optométriste. Si vos lunettes ne sont pas roses, comme vous l’avez mentionné, il est légitime de s’enquérir de votre vue. De toute évidence, il y a quelque chose que vous ne voyez pas correctement. À moins que cela ne nous ait pas été mentionné ?

 

La situation en protection de la jeunesse ne s’est pas améliorée. Elle est comparable à ce qu’elle était précédemment. Les chiffres magiques qui ont atterri sur votre bureau sont le résultat d’efforts titanesques. De dévouement et d’un travail acharné. Encore là, ces statistiques maquillent une vérité. Il est facile de nous convaincre que les cibles sont atteintes. Mais à quel prix ? 

 

J’ai un collègue qui aime bien nous rappeler que le bateau n’a toujours pas coulé. Par contre, il s’amuse à nous rappeler qu’on a les pieds mouillés et de l’eau dans chaque soulier ! C’est un collègue d’expérience, Monsieur le Ministre. Il ne s’est jamais tanné de la vitesse de croisière. Mais il a vu des gens venir et partir. On travaille à la protection de la jeunesse par choix, on y reste par dévotion. Rendez-nous les choses plus faciles, Monsieur le Ministre. Notre travail doit être plus qu’attrayant, il doit être un métier d’avenir ! Il est anormal que des professeurs d’école suggèrent aux élèves d’éviter un travail en protection de la jeunesse.

 

 

La commission Laurent recommande la mise en place de différents moyens pour améliorer la situation. Trois questions qui restent toujours en chantier : la formation du personnel, la rétention du personnel et la reconnaissance du métier. Un travailleur qualifié qui commence un nouvel emploi dans le milieu de la construction sait exactement ce qu’il doit faire comme tâches. Il connaît son métier, il agit sans difficulté quels que soient les enjeux. 

 

Vous serez étonné d’apprendre que ce n’est pas le cas lorsqu’on travaille en protection de la jeunesse. Vous êtes embauché. Vous avez des dossiers dès le lendemain et vous serez formé par la suite. De cette façon, la liste des dossiers en attente d’assignation diminue magiquement. Avec quelles conséquences ? N’est-il pas angoissant d’apprendre son travail tout en naviguant à travers des crises psychosociales, des urgences, le stress d’apprendre un nouveau métier ? Avoir à se présenter au Tribunal de la jeunesse, pour une situation que l’intervenant ne maîtrise pas : l’angoisse suprême ! C’est toujours une pratique courante de construire l’avion en plein vol. Les formations doivent être uniformisées et offertes préalablement à l’embauche.

 

 

C’est un problème de taille qui entrave directement la capacité à retenir le personnel. Il devient impératif de former nos travailleurs en protection de la jeunesse avant qu’ils interviennent sur le terrain, avant qu’ils se présentent au Tribunal et avant qu’ils représentent un service de l’État. Votre dentiste a tous ses diplômes, il est qualifié et il maîtrise son domaine. Il n’est pas démuni. Il ne se sent pas dépassé à la fin de sa première semaine de travail. Interrogez les nouveaux employés, vous obtiendrez l’heure juste. Cela ne figure jamais dans vos statistiques. D’ailleurs, vos statistiques ne doivent sûrement pas parler de la difficulté à concilier le travail et la vie familiale.

 

Le travail en protection de la jeunesse utilise un cadre légal complexe pour une mission centrée sur l’intérêt de l’enfant tout en jonglant avec une intervention excessivement spécialisée. Pourquoi cela n’est-il toujours pas reconnu ? Vous direz que l’on bénéficie d’une prime avantageuse. La vérité est qu’une précédente prime sera soustraite et qu’une nouvelle prime sera maintenant offerte. Cette magie financière offre une gifle plutôt insultante. Pourquoi ne pas « claquer » la porte, diront certains. Nos conditions de travail doivent être votre prochaine priorité. La création d’un titre d’emploi propre à la protection de la jeunesse est une solution simple, accessible et pourtant reléguée aux calendes grecques.

 

Vu les listes d’attente, des quotas de vacances seront désormais imposés. Aucun congé ne pourra être pris si ce quota de vacances est atteint. Un changement radical pour des travailleurs qui donnent tant d’efforts afin d’accomplir une noble mission. Le socle d’un équilibre psychologique, le refuge pour retrouver son bien-être personnel vole en éclats. La probabilité de ne pas avoir de vacances durant la période estivale est élevée. En fin de compte, on traite le personnel avec irrespect pour respecter vos « cibles » en protection de la jeunesse. Personne n’a eu le temps de vous en parler ? Il y a des postes qui demeurent vacants. En étiez-vous avisé ? Des gens quittent ce travail à cause de ces conditions plus que déplorables.

 

Il est légitime de remettre en question des décisions exemptes de logique. Offrir une confiance aveugle à la haute direction est un luxe qui devient trop onéreux. Un événement de mobilisation a été organisé dans les dernières semaines afin que soient réduites les listes d’attente. Malheureusement, cette initiative a été boycottée récemment compte tenu du manque de respect de nos conditions. La réalité est-elle semblable à celle qui vous est décrite ? 

 

Il existe toujours des vides de services, des lésions de droits, des listes d’attente interminables. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a récemment ouvert une enquête, et pour cause. Il est clair qu’un écart abyssal existe entre votre perception et la réalité. En la matière, la mission des centres jeunesse est toujours en péril et il est lassant de constater votre déni.