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Le «Plan santé», c’est quoi au juste?

4 octobre 2022

Le «Plan santé», c’est quoi au juste? - APTS

Trois ans. C’est le temps que se donne le gouvernement Legault pour remettre sur pied le système de santé et de services sociaux à l’aide d’un plan d’action destiné à le rendre « plus humain» et « plus performant». Mais que contient réellement le Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé (Plan santé) du ministre Dubé? Quels objectifs poursuit-il? À quels moyens recourt-il? Et, surtout, quels sont les impacts prévisibles sur notre réseau? Nous avons passé au crible les 90 pages du document pour répondre à ces questions.

Un accès aux soins à tout prix!
Dès l’introduction,  le Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé, intitulé complet — et pourtant éminemment vague — du Plan santé du ministre Dubé, annonce ses couleurs : l’objectif est, ni plus ni moins, de « rétablir les fondations sur lesquelles rebâtir un réseau plus humain et plus performant ». Le fil conducteur? Favoriser l’accès aux soins, peu importe ce qu’il en coûte.

Pour cela, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) propose 50 mesures particulières, réparties en 13 chantiers. Quatre sont considérés comme étant les « fondations du système » (le personnel, l’accès aux données, les technologies de l’information, les infrastructures et les équipements) et neuf reposent sur des éléments du système ou sur des « clientèles » ciblées.

Parmi ces 50 mesures, on citera notamment :

  • la réduction de la charge administrative du personnel soignant et la révision de la composition des équipes de soins dans le but d’alléger les tâches,
  • un meilleur encadrement du recours aux agences privées de placement de personnel, 
  • l’offre de services de proximité et l’orientation des jeunes vers la bonne personne intervenante, au bon moment, en améliorant l’accès aux services de santé mentale,
  • la standardisation des systèmes d’évaluation de qualité de tous les milieux de vie, indépendamment de leur statut ou des usager·ère·s concerné·e·s.


De quoi se réjouir, non? Pas si vite…

Comment prévoit-il y arriver et avec quelles conséquences?
On ne peut pas être contre la vertu, mais il convient d’analyser à travers le prisme de certains principes fondamentaux les desseins du MSSS et les moyens qu’il prévoit déployer pour arriver à ses fins : quels seront les impacts sur la qualité des soins et services offerts? Dans quelles conditions ceux-ci seront-ils dispensés? Qu’en coûtera-t-il au réseau? Et, surtout, cet accès accru aux soins et services profitera-t-il équitablement à tou·te·s ou, au contraire, marquera-t-il l’avènement d’un système de santé à deux vitesses?

Quels seront les impacts [du Plan santé] sur la qualité des soins et services offerts? Dans quelles conditions ceux-ci seront-ils dispensés? Qu’en coûtera-t-il au réseau?

Pour répondre à ces questions, il faut lire entre les lignes. Car sous couvert d’un langage plus acceptable socialement, le ministre Dubé poursuit en réalité sur la lancée de ses prédécesseurs et consacre l’idéologie néolibérale qui a tant mis à mal le réseau dans les dernières décennies.

Le triomphe du privé au détriment du réseau
En effet, le MSSS ne se cache pas de vouloir accentuer davantage le virage vers le privé. Que ce soit en première ligne, en investissant toujours plus dans les groupes de médecine familiale (GMF) – qui, rappelons-le, n’ont en l’espace de 20 ans atteint aucun des objectifs fixés — ou en subventionnant des cliniques médicales spécialisées, la stratégie de la privatisation des soins en santé et des services sociaux – décriée à maintes reprises – sera, de toute évidence, maintenue. Le prix à payer? Un exode accéléré du personnel et une surcharge accrue dans le réseau, au détriment tant des travailleur·euse·s du secteur public que des usager·ère·s.

La consécration de l’hospitalocentrisme
Il est également à déplorer que, fidèle à la ligne de conduite de son gouvernement lors de la précédente ronde de négociation, le MSSS continue à donner préséance à des corps de métier sur la base de leur popularité plutôt que sur celle de leur contribution au réseau. C’est ainsi que les laboratoires de biologie médicale et les secteurs de l’imagerie médicale, de la médecine nucléaire, de la radio-oncologie et de l’électrophysiologie médicale sont complètement évincés de la stratégie ministérielle et que les services sociaux – à l’exception de ceux en lien avec la protection de la jeunesse et la santé mentale – restent absents. En déficit de notoriété et en proie à des enjeux majeurs de pénurie, de surcharge et de relève, ces secteurs auraient pourtant gagné à être mis davantage de l’avant si le MSSS avait réellement à cœur leur pérennisation au sein du réseau pour le bien des Québécois·es. Mais peut-être envisage-t-il simplement de les livrer, eux aussi, en pâture au privé?

L’obsession de la statistique
Par ailleurs, le passage rapide vers la numérisation et l’informatisation des données en santé et services sociaux – s’il part d’une intention louable – révèle un manque flagrant de compréhension et de considération du rôle et de l’apport du personnel dans la création de ces différentes statistiques si convoitées. Ainsi, en voulant augmenter l’imputabilité des gestionnaires du réseau par l’accroissement d’une reddition de compte statistique, le MSSS a tôt fait d’oublier que c’est aux travailleur·euse·s du réseau qu’incombera la production de ces dernières. Loin de contribuer à la réduction de leur charge tel qu’annoncé, il est à parier que cette orientation la rendra au contraire encore plus accablante.

Pas de « transformation radicale de la gouvernance du système » donc […]. Les gouvernements passent, la micro-gestion subsiste et les travailleur·euse·s en pâtissent.

Le culte de la « performance » et la décentralisation de façade
Une autre contradiction à souligner réside dans la focalisation sur la performance plutôt que sur la qualité des soins et services prodigués, une philosophie fortement inspirée de la culture d’entreprise privée. À grands renforts de concepts d’agilité, de flexibilité et d’optimisation, de valeurs centrées sur l’expérience-client·e et sur le rôle du gestionnaire ainsi que d’outils de standardisation et autres indicateurs de rendement, le MSSS poursuit dans la voie de la technocratisation du réseau, qui a connu son apogée sous l’ère Barrette. Pas de « transformation radicale de la gouvernance du système » donc, comme l’invoquait la Commissaire à la santé et au bien-être dans son rapport Le devoir de faire autrement. Les gouvernements passent, la micro-gestion subsiste et les travailleur·euse·s en pâtissent.

Que faire à présent?
Ainsi, bien que le plan du MSSS soit pétri de bonnes intentions, il comporte de nombreuses contradictions et angles morts qui lui feront assurément emprunter des voies nuisibles au réseau, à ses travailleur·euse·s et à ses usager·ère·s. Fort d’une majorité de sièges à l’Assemblée nationale, le gouvernement disposera de toute la latitude nécessaire pour entériner les décisions ministérielles sans que les oppositions, officielles ou non, puissent élever des voix discordantes. Il incombe donc encore une fois au syndicalisme de se saisir des enjeux et d’agir à titre de chien de garde et de contre-pouvoir. Nos équipes sont déjà à pied d’œuvre et des communications feront régulièrement état de leurs travaux. À suivre!

 

Rédaction: Leila Asselman 

Source: BleuAPTS