Lettre ouverte | Violence conjugale | Dix jours pour changer la trajectoire de sa vie
10 octobre 2025

L’Intersyndicale des femmes demande au gouvernement d’agir et d’accorder 10 jours d’absence rémunérés aux victimes de violence conjugale.
La violence conjugale touche des milliers de femmes chaque année au Québec. Parmi elles, 70 femmes ont été assassinées dans un contexte conjugal depuis 20201. Au moment d’écrire ces lignes, il y a déjà eu 15 féminicides depuis le début de 2025 dont 9 en contexte de violence conjugale1.
Au début du mois d’août, trois tentatives de féminicides ont été perpétrées par des hommes dans des contextes de violence conjugale, dont deux avaient été remis en liberté en attendant leur procès pour des actes de violence2.
Ces souffrances et ces décès sont inacceptables. Le gouvernement du Québec peut et doit en faire plus pour aider les victimes de violence conjugale à s’en sortir.
L’Intersyndicale des femmes, qui regroupe sept organisations syndicales, est intervenue à plusieurs reprises pour réclamer l’inclusion de 10 jours d’absence rémunérés pour les victimes de violence conjugale dans la Loi sur les normes du travail. Une première lettre ouverte d’appui à cette demande a été publiée en 2021, une pétition a été déposée en 2022 et un rassemblement a eu lieu devant l’Assemblée nationale. À l’occasion de l’étude des projets de loi 42 (Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail) et 101 (Loi visant l’amélioration de certaines lois du travail), les organisations syndicales ont également interpellé directement le ministre du Travail.
Ces actions visaient toutes à faire reconnaître un droit fondamental : celui de se protéger sans avoir à choisir entre sa sécurité et son revenu.
Le coût de ne pas agir
Dix jours d’absence, c’est bien peu pour reconstruire sa vie, mais c’est une occasion unique d’en changer la trajectoire. Ces journées permettraient aux victimes de faire des démarches pour s’en sortir, à l’abri du contrôle de l’agresseur et sans perdre de revenu ou risquer de rompre leur lien d’emploi.
Cette mesure aurait un coût, bien sûr, mais rappelons que le coût de ne pas agir est bien plus élevé. L’incidence économique de la violence conjugale sur l’ensemble de la société canadienne s’élèverait à 7,4 milliards de dollars3, selon les dernières données disponibles.
La problématique de la violence conjugale, c’est l’affaire de toutes et tous. L’État et les employeurs ont un rôle à jouer pour prévenir la violence conjugale et pour protéger les victimes.
Les employeurs sont déjà tenus de prendre certaines mesures de prévention et de soutien aux victimes, en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Mais il faut encore aller plus loin parce que les chiffres nous montrent que le problème est loin d’être réglé.
La plupart des provinces et des territoires canadiens permettent d’ailleurs aux victimes de violence conjugale ou familiale de prendre trois à cinq jours d’absence rémunérés. La fonction publique fédérale accorde, quant à elle, 10 jours d’absence rémunérés à ses employées et employés victimes de violence familiale.
Au Québec, les victimes n’ont droit qu’à un maximum de deux jours, et ce, seulement si ces journées n’ont pas déjà été prises pour d’autres raisons (maladie, congés personnels, etc.). Il suffirait de modifier la Loi sur les normes du travail pour plutôt en prévoir 10 et ainsi devenir un chef de file en matière de prévention de la violence conjugale et de protection des victimes.
Chaque jour sans cette mesure, des femmes doivent choisir entre leur sécurité et leur revenu. Le gouvernement a entre les mains une occasion concrète et profondément humaine d’agir. En profitant de l’étude du projet de loi 101 pour intégrer ces 10 jours d’absence rémunérés, il ferait preuve de courage politique, de compassion… et contribuerait, tout simplement, à sauver des vies.
Lettre ouverte publiée dans La Presse le 10 octobre 2025
L’Intersyndicale des femmes : Émilie Charbonneau (APTS), Luc Vachon (CSD), Nadine Bédard-St-Pierre (CSQ), Annie-Christine Tardif (FAE), Françoise Ramel (FIQ), Franck Di Scala (SFPQ) et Sophie Ferguson (SPGQ) et 115 autres signataires*
*Cosignataires : Magali Picard, Caroline Senneville, Louise Harel, Françoise David, Ruba Ghazal, Simon Lapierre, Rachel Cox, Cathy Allen, Ingrid Falaise, Martine Delvaux, Monique Simard et de nombreux autres.