Lettre ouverte | Santé Québec a un an, et le sabotage de notre système de santé est bien engagé
2 décembre 2025
Près de 500 organisations dénoncent la réforme Dubé, dont les effets sont appelés à s’amplifier. Les autrices sont respectivement coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés ; coordonnatrice de la Coalition Solidarité santé ; membre de la Coalition Main rouge ; première vice-présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) ; coordonnatrice à la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires&bénévoles (TRPOCB). Elles cosignent ce texte au nom du Collectif Tout sauf santé.
Printemps 2022. Nous sommes au lendemain de la pandémie. Le rapport de la coroner Géhane Kamel est dévastateur. Le mammouth de la santé a échoué à protéger les plus vulnérables. Dans le privé, le pire n’a pu être évité. Les conséquences ont été dramatiques.
La pandémie est terminée, et les listes d’attente sont plus longues que jamais. L’accès aux services fait défaut partout. Des milliers de personnes attendent une opération. On ne répond qu’à environ 10 % des besoins en soins à domicile. Il manque des milliers de places en CHSLD. Les hôpitaux tombent en ruine. Plusieurs centaines de médecins se sont désengagés du réseau public. Les services sociaux et la prévention sont négligés. Jeunes et moins jeunes sont abandonnés à leur sort. Il faut se rendre à l’évidence : rien ne va plus en santé. Et ce, en dépit des belles promesses politiques avancées lors des deux dernières réformes centralisatrices successives de Philippe Couillard, en 2003, et de Gaétan Barrette, en 2015.
Dans l’urgence d’agir, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) répond avec le Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé, déposé par le ministre de la Santé, Christian Dubé. Sur papier, ce plan met en avant deux grandes priorités : rendre le réseau plus humain et plus performant. Parmi les intentions avancées, on retrouve l’augmentation de la formation, la rétention du personnel, un recrutement important de nouvelles ressources, l’ajout de nouveaux lits dans le réseau et le virage massif vers les soins à domicile. Le ministre promet aussi de consulter davantage le terrain et les experts, évoque la nécessité de décentraliser le réseau et se défaire de la dépendance aux agences privées. Ces mesures ont-elles réellement été mises en place ?
Il y a deux ans, malgré les nombreux avis défavorables et au terme d’une consultation de façade, la CAQ adoptait sous bâillon le projet de loi 15, Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace. Une énième réforme de structure bureaucratique et hypercentralisée qui ouvrait encore plus grande la porte à la privatisation accélérée du réseau. Un an plus tard naissait le plus gros employeur au Canada : Santé Québec.
Le mammouth devenu dinosaure
En créant cette nouvelle mégastructure bureaucratique, le ministre se dotait habilement d’un paravent derrière lequel il pouvait dorénavant se cacher afin d’effectuer ses basses œuvres. Négligeant de s’attaquer au manque criant de ressources et de mettre fin à la privatisation rampante, il poussait à l’extrême la logique mise en avant lors des dernières réformes, menant notre système de santé encore plus proche de l’implosion. Avec pour résultat la situation que l’on connaît actuellement, qui ressemble plus à un sabotage qu’à la remise sur pied promise.
Ce sont près de 500 organisations ont signé la déclaration « La réforme Dubé : tout sauf santé » pour dire haut et fort : « Assez, c’est assez ! » La réforme Dubé ne réglera pas les problèmes du système de santé et la situation risque seulement de se détériorer davantage.
Plus grave encore, on nous dépossède de nos moyens de contrôle sur notre avenir collectif en santé. Avec Santé Québec, la transparence est réduite au minimum. Il sera de plus en plus difficile pour chaque citoyen d’avoir l’heure juste et d’influer sur les prises de décisions.
La situation est grave. Le gouvernement donne les pleins pouvoirs à une agence gouvernementale, lui permettant de transformer les fondements mêmes de notre système de santé. Pour qu’une population entière puisse demeurer en santé, on doit mutualiser le risque et on doit pouvoir compter sur un système public au service de l’ensemble de la population. Comment est-ce possible qu’une agence créée sous bâillon puisse avoir l’autorité de remettre cela en question ?
Est-ce normal que le gouvernement préfère agir à coups de bâillons et de réformes, rendant le système public de plus en plus déficient, et ce, malgré les nombreuses oppositions ? Et alors que la société civile et les acteurs du milieu apportent des solutions concrètes ? Est-ce normal qu’à peu près tous les espaces de participation démocratique qui permettaient à la population et aux gens sur le terrain d’organiser leurs soins et leurs services de santé aient été éliminés ? Est-ce normal qu’on soit en train de nous imposer un retour à un système de santé à plusieurs vitesses, dont seuls quelques privilégiés pourront bénéficier, avec l’affaiblissement social comme conséquence ?
Lettre publiée dans Le Devoir