Lettre ouverte - Non à la marchandisation des opérations chirurgicales!
4 octobre 2024
Nous avons appris avec stupeur la volonté du ministre Dubé d’offrir une vingtaine d’opérations additionnelles aux centres médicaux spécialisés privés. Elles viendraient s’ajouter à celles de la cataracte, du genou et de la hanche. Incapable de résorber les listes d’attente, le gouvernement tente de faire bonne figure en présentant le recours aux cliniques privées comme un complément aux services de notre réseau public. Or, c’est plutôt une infection qui s’insinue et ronge peu à peu les organes d’un réseau public qui faisait jadis notre fierté.
À la Coalition solidarité santé, nous sommes très inquiets de la trajectoire empruntée par le gouvernement ces dernières années. Le bassin de main-d’œuvre en santé et services sociaux est limité, et le secteur privé fonctionne comme un vase communicant avec le secteur public : on déshabille Paul pour habiller Jacques. Cette dynamique accentue la pénurie de personnel qui affecte directement la qualité et l'accessibilité des soins pour la population.
La privatisation contribue également à la déstructuration du réseau. En effet, le ministre permet aux centres médicaux spécialisés de sélectionner uniquement les cas les plus rentables, opérés durant les plages horaires de jour, laissant les interventions plus complexes ou à risque de complications au secteur public. Ce cercle vicieux entraîne une aggravation de la situation : plus le privé se développe, plus le personnel doit couvrir des quarts moins attractifs dans le public; et plus l’expertise et les effectifs désertent le réseau. Le ministre se plaint alors que plusieurs opérations ne puissent être réalisées dans le réseau public faute de personnel.
Des opérations ‘’gratuites’’ qui coûtent cher
Le ministre ne cesse de répéter sur toutes les tribunes que les soins offerts dans les centres privés seront ‘’gratuits’’. C’est faux! S’il reconnaît déjà que le recours aux agences de personnel privé est plus coûteux, pourquoi entretient-il soigneusement l’opacité sur le coût des chirurgies pratiquées dans ces cliniques spécialisées? La facture sera beaucoup plus salée et elle devra être assumée par les impôts des contribuables.
L'exemple de la Colombie-Britannique devrait pourtant nous servir de mise en garde. Après avoir constaté à quel point les procédures au privé étaient plus chères, cette province a dû commencer à racheter certaines installations privées pour limiter les dégâts financiers. Pourquoi ne pas tirer dès maintenant les leçons de ce qui a été fait ailleurs, au lieu de plonger tête baissée dans la même impasse?
Si le gouvernement a les moyens de verser ces sommes au privé, pourquoi ne pas plutôt les investir dans la modernisation et l’optimisation de notre réseau public? Pourquoi choisir de favoriser la marchandisation des soins et services offerts à la population? Pourquoi n’adopte-t-il pas plutôt une approche préventive, notamment en agissant sur les déterminants sociaux de la santé, au lieu de se concentrer sur une approche purement curative et donc plus onéreuse?
Pourquoi persiste-t-il à centraliser et à éloigner toujours plus le citoyen de la prise de décision en transférant leur pouvoir à une poignée de gestionnaires, souvent issus du secteur privé? Et pourquoi démanteler notre modèle universel, qui garantissait à tous un accès égal aux soins, pour le remplacer subrepticement par un système calqué sur le modèle américain ? Ce dernier, controversé et inéquitable, fait dépendre le droit à la santé de la capacité de payer — une dérive coûteuse qui trahit les valeurs mêmes d’équité et de justice sociale qui devaient animer notre système.
Ce sont des questions fondamentales que nous devons nous poser collectivement si nous souhaitons restaurer l’accès à un réseau réellement public, universel et équitable.
- Sophie Verdon et Geneviève Lamarche
Co-coordonnatrices de la Coalition solidarité santé
Cette lettre a été publiée dans le Journal de Montréal du 8 octobre 2024