Lettre ouverte | Femmes et santé au travail - Un pas en avant, deux pas en arrière
31 mai 2025

En 2020, le ministre du Travail Jean Boulet a proposé la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, incluant explicitement la prévention des risques pour l’intégrité psychique, risques qui concernent très souvent les emplois des femmes. Le ministre Boulet affirmait alors : « Le statu quo ne nous apparaît plus acceptable. Il y a des effets discriminatoires… quant à l’égalité entre les femmes et les hommes1. » Malheureusement, le projet de loi attribuait pourtant, en pleine pandémie, un statut de « risque faible » au secteur de la santé, comme à bon nombre des emplois occupés par des femmes.
Une coalition de femmes s’est mobilisée. Face au tollé, le libellé final de la loi indique que le règlement devant déterminer les mécanismes de participation des travailleurs et travailleuses pour agir en prévention, doit « prendre en compte les réalités propres aux femmes et aux hommes. »
La rédaction du règlement concernant les priorités de prévention était confiée à un comité CNESST-syndicats-employeurs. Le conseil d’administration de la CNESST a adopté, le 19 septembre 2024, une proposition de règlement qui plaçait le secteur de la santé au niveau de risque élevé (4), et celui de l’éducation au niveau 2 (faible-moyen).
Mais quelle fut notre déception en en lisant le projet de loi 101 déposé le 24 avril dernier par le ministre Boulet ! Il propose de retirer la plupart des établissements des secteurs de la santé et de l’éducation (essentiellement, des établissements financés par le gouvernement) des mesures dont bénéficieront des travailleuses et travailleurs dans les secteurs présentant le même niveau de risque.
Ils seraient laissés au niveau de risque 1 (faible). Ainsi, une travailleuse de la santé ou de l’éducation exposée aux risques d’infection, de maux de dos ou de violence commise par des usagers et usagères n’aura pas accès aux mêmes moyens de prévention qu’une serveuse.
Pourtant, le secteur des « soins de santé et assistance sociale » compte pour 43 % des « accidents de travail » en 2022 et 2023 selon le plus récent rapport de la CNESST. Et une étude de l’Institut national de santé publique révèle que « plus de la moitié des personnes travaillant dans les écoles publiques québécoises est en détresse psychologique élevée ou très élevée2 ». Il nous semble que ce n’est pas le moment de réduire leur accès à la prévention. Notons qu’un personnel en bonne santé s’absente moins du travail, ce qui importe dans un contexte de pénurie.
Alors que la CNESST évalue qu’après cinq ans, les bénéfices d’un investissement dans les mécanismes de participation et de prévention dépassent les coûts3, comment se fait-il que le gouvernement ne suive pas sa propre logique ?
Nous appelons le ministre Boulet à retirer les dispositions du projet de loi réduisant des mesures de prévention pour les travailleuses et travailleurs de la santé et de l’éducation. La santé et la sécurité des femmes au travail en dépendent, et nos services publics de santé et d’enseignement s’en porteront mieux !
1. Consultez le Journal des débats de la Commission de l’économie et du travail
3. Consultez une Analyse d’impact réglementaire
Cette lettre a été publiée dans La Presse le 31 mai 2025
Lettre signée par Colette Cummings, Directrice générale, Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT), Rachel Cox, Professeure, département des sciences juridiques, UQAM, et équipe de recherche SAGE, et plusieurs cosignataires : Karen Messing, professeure, département des sciences biologiques, UQAM, et équipe SAGE ; Jessica Riel, professeure, département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion, UQAM, et directrice, équipe de recherche SAGE ; Geneviève Baril-Gingras, professeure, département des relations industrielles, Université Laval et équipe de recherche SAGE ; Magali Picard, présidente, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ; Caroline Senneville, présidente, Confédération des syndicats nationaux (CSN) ; Judith Huot, vice-présidente, Fédération de la santé et des services sociaux, CSN ; Jennie-Claude Lafontaine Morin, secrétaire-trésorière et responsable de la condition féminine à la CSN-Construction ; Julie Bouchard, présidente, Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) ; Robert Comeau, président, Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) ; Nadine Bédard-St-Pierre, première vice-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ; Diane Thomas, responsable provinciale à la condition féminine de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) ; Catherine Renaud, vice-présidente aux relations de travail, Fédération autonome de l’enseignement ; Sophie Ferguson, deuxième vice-présidente du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) ; Christian Daigle, Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPPQ) ; Félix Lapan, Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM) ; Jacynthe Lussier, responsable à la coordination, Front de défense des non-syndiqué. e. s (FDNS) ; Vicky Tremblay, porte-parole, Mouvement Action-Chômage Montréal ; Gilles Brûlé, directeur-général, Carrefour d’aide aux non-syndiqués-es MCQ ; Nellie Quane-Arsenault, coordonnatrice, Illusion Emploi de l’Estrie ; Stephan Reichhold, directeur général, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes ; Vincent Chevarie, porte-parole, Au bas de l’échelle ; Béatrice Monfette, responsable de projet, Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT) ; Valérie Lederer, professeure, département de relations industrielles, UQO et équipe de recherche SAGE ; Anne-Renée Gravel, professeure, École des sciences de l’administration, Université TELUQ ; Alexis Chambel, dhercheur, département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion, UQAM et équipe de recherche SAGE