Lettre ouverte | Québec doit respecter les droits fondamentaux en immigration permanente et temporaire
October 31, 2025
Les consultations publiques sur la planification de l’immigration permanente et temporaire se sont déroulées en ce mois d’octobre. Elles ont offert l’occasion de faire entendre les voix de la société civile québécoise sur la façon dénigrante dont sont traitées actuellement les personnes migrantes, transformées en boucs émissaires de tous les problèmes sociaux, et sur la façon dont nous voulons qu’elles soient respectées et reconnues comme des personnes contribuant pleinement au « vivre-ensemble » de la société québécoise.
Les Québécois que nous représentons n’admettent pas qu’en raison de leur qualification, de leur pays d’origine ou de leur statut migratoire, les personnes qui viennent travailler, étudier ou chercher un pays sécuritaire pour reconstruire leur vie subissent des discriminations en matière d’accès aux services publics et aux soins de santé, d’accès à la résidence permanente ou de respect de leurs droits. Québec doit utiliser les compétences dont il dispose pour donner l’exemple d’une réforme des politiques d’immigration soucieuse de respecter les droits de toute personne.
Les propositions du gouvernement sur la planification de l’immigration temporaire et permanente ne vont hélas pas dans cette direction. Le gouvernement est ainsi étrangement silencieux sur les conditions de travail des personnes migrantes ayant le statut de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, alors qu’elles et ils ne disposent que d’un permis fermé de travail alimentant des formes contemporaines d’esclavage, comme l’a souligné Tomoya Obokata, rapporteur spécial de l’ONU.
Rien n’empêche pourtant Québec de mettre un terme à cette forme d’abus indigne d’un État de droit, en cessant de consentir à son recours par les employeurs, comme le requiert le système actuel, et d’exiger d’Ottawa l’abolition du permis fermé.
En outre, les scénarios annoncés de baisses draconiennes du seuil annuel d’immigration permanente condamnent à la précarité les personnes avec un statut temporaire : aucune nouvelle voie d’accès vers la résidence permanente n’est proposée aux dizaines de milliers de travailleurs étrangers temporaires déjà présents sur le territoire et occupant ou ayant occupé un emploi arbitrairement classifié comme « peu qualifié », alors qu’ils subissent depuis plus d’un an les mesures prises tant par Québec qu’Ottawa pour en réduire le nombre.
Prisonniers de leur permis fermé, ces travailleurs qui ont souvent fait leur vie au Québec sont ou se trouvent ainsi menacés d’être projetés dans les limbes des personnes sans statut. Québec reste pourtant muet sur l’absence de programme de régularisation, promis à la sortie de la pandémie par le gouvernement fédéral, mais jamais adopté.
Quant aux étudiants internationaux, dont le gouvernement a longtemps encouragé le recrutement par les établissements d’enseignement postsecondaire, il a, comme Ottawa, soudainement limité le nombre de ceux pouvant avoir accès à l’enseignement ainsi qu’à la résidence permanente — ou à un permis de travail ouvert après leurs études. Et au lieu de dénoncer le projet de loi fédéral liberticide C-12 (ex-C-2), qui réduira comme peau de chagrin la protection des personnes migrantes, en particulier pour les demandeurs d’asile, le gouvernement du Québec s’emploie à les priver de l’accès aux services publics de base, comme l’aide sociale ou les garderies.
Les scénarios annoncés ne permettent pas non plus de remplir nos obligations internationales d’accueil et de protection des personnes réfugiées — obligations déjà fortement malmenées par les quotas adoptés par Québec pour faire entrer même des personnes pourtant déjà acceptées dans le cadre du regroupement familial et du parrainage des personnes réfugiées, les faisant attendre parfois plus de 10 ans avant de pouvoir effectivement venir. Ce n’est pas sérieux !
Les politiques d’immigration, animées par un esprit utilitariste tant au fédéral qu’au Québec, renforcent ainsi les discriminations systémiques des programmes existants et des processus d’accès à la résidence permanente.
La planification de l’immigration temporaire et permanente doit rompre avec le discours anti-immigrant grandissant dans le monde et à nos portes, qui débouche sur la mise en œuvre de procédures arbitraires et répressives envers toute personne racisée. Québec doit offrir des voies d’accès à la résidence permanente dont les étapes sont lisibles et prévisibles. Cela suppose aussi d’améliorer les moyens pour l’accès à la francisation, avec une responsabilisation des employeurs, ainsi que les subventions pour les organismes travaillant auprès des personnes migrantes et immigrantes. Il faut montrer aussi que le Québec est prêt à intervenir auprès des employeurs abusant de la vulnérabilité des personnes migrantes et immigrantes.
Nous voulons renouer avec l’esprit d’une société qui revendique la justice sociale et une égalité réelle entre ses habitants. C’est pourquoi nous exigeons d’afficher notre volonté d’accueil. Les personnes migrantes et immigrantes ont en effet toujours contribué à la richesse de notre « société distincte ».
Cette lettre ouverte a été publiée dans Le Devoir le 31 octobre 2025
Source :
Amel Mokhtar et Stephan Reichhold
Le premier est membre du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTTI); le second est directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), et la Campagne québécoise pour la régularisation et la justice migrante.*
Cosignent aussi ce texte : 1. Action Chômage Kamouraska ; 2. Action Réfugiés Montréal (ARM) ; 3. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) ; 4. Association générale étudiante du campus de Rimouski de l’UQAR (AGECAR) ; 5. Association pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme (DTMF-RHFW) ; 6. Au bas de l’échelle (ABE) ; 7. CALACS de l’est du BSL ; 8. Centrale des syndicats démocratiques (CSD) ; 9. Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ; 10. Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (IWC-CTI) ; 11. Centre International de Solidarité Ouvrière (CISO) ; 12. Centre femmes de La Mitis ; 13. CLEF Mitis-Neigette ; 14. Clinique pour la justice migrante (CJM) ; 15. Collectif Bienvenue/Welcome Collective ; 16. Collectif pour un Québec sans pauvreté ; 17. Comité d’action de Parc-Extension (CAPE) ; 18. Comité logement Bas-Saint-Laurent ; 19. Confédération des syndicats nationaux (CSN) ; 20. Conseil central du Bas-Saint-Laurent-CSN (CCBSL-CSN) ; 21. Conseil central du Montréal métropolitain-CSN (CCMM-CSN) ; 22. Conseil régional FTQ Montréal métropolitain (CRFTQMM) ; 23. Corporation de développement communautaire des Grandes Marées (CDCGM) ; 24. Fédération des femmes du Québec (FFQ) ; 25. Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ; 26. Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) ; 27. Fondation Béati ; 28. Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) ; 29. Illusion Emploi de l’Estrie ; 30. International Migrants Alliance Canada (IMA Canada) ; 31. La Débrouille ; 32. MCM — Solutions Justes ; 33. Médecins du Monde ; 34. Migrante Québec ; 35. Mouvement Action-Chômage de Montréal (MACmtl) ; 36. Observatoire pour la justice migrante (OPLJM) ; 37. Organisation des femmes philippines du Québec (PINAY) ; 38. Solidarité populaire Estrie (SPE) ; 39. Syndicat des Métallos ; 40. Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) ; 41. Table de concertation des groupes de femmes du Bas-Saint-Laurent ; 42. Table des groupes de femmes de Montréal (TGFM) ; 43. Le Québec c’est nous aussi (LQCNA) ; 44. Ligue des droits et libertés (LDL) ; 45. Médecins du Monde Canada. Ont aussi cosigné cette lettre : Amnistie internationale Canada francophone et le Carrefour d’action interculturelle (CAI).